Nul doute que la pandémie a été jusqu’à maintenant une succession de craintes. Mais avec Omicron, on semble être dans les ligues majeures. Nul doute également qu’une rhétorique de la peur a fait son chemin depuis mars 2020. Il faut faire l’exercice d’aligner tous les mots, expressions, images, titres et ce depuis le début. La peur vise ultimement un changement de comportement. Une histoire se raconte peu à peu. La rhétorique sert à persuader.
Une spécialiste du stress comme Sonia Lupien explique qu’on peut assez aisément induire la peur chez le rat en une seule occasion. On imagine que la crainte que nous avons pu ressentir en début de crise est encore présente aujourd’hui. Mais le gouvernement n’a pas le choix. Il doit appuyer encore une fois sur l’accélérateur. Le but ultime étant le respect des consignes alors que la fatigue pandémique est bien réelle.
Un court recensement des propos et des titres liés à Omicron donne le ton :
Omicron, une version très contagieuse du virus
La situation est critique
Une catastrophe
Les mesures sanitaires au travail sont renforcées
Biden prédit un hiver de maladie grave et de mort aux non-vaccinés
Le Canada franchit le cap des 30 000 morts
Nouveau tour de vis face à Omicron
Des écoles resserrent les règles sanitaires
Vers une hausse marquée des hospitalisations
On fonce dans le mur
L’historien français Jean Delumeau a très bien décrit la peur en Occident. Au début des temps modernes, avouer qu’on a peur est un signe de faiblesse (c’est peut-être encore un peu comme ça aujourd’hui…) Mais lorsque l’élite, religieuse et politique, s’empare de la peur, elle devient une arme stratégique. Grâce à elle et aux discours enflammés, on répand la panique. Il faut se méfier de certains groupes, de certains peuples, des sorcières, tutti quanti. Les dirigeants, avec leur prétendu savoir, en viennent à ressentir des peurs plus intenses que la population. Au jour d’aujourd’hui, c’est Omicron qui sème la panique. La sorcière change de visage.
L’historien traite aussi de la manière dont l’Église a fait usage de la peur pour convertir : le mal, l’enfer, Satan, le purgatoire, le péché. C’est pour lui une «pastorale de la peur». Mais on constate également qu’on peut la combattre. Les avancées technologiques permettent, par exemple, de naviguer en ayant moins peur de l’eau, de traiter les phobies avec la réalité virtuelle ou d’éviter les décharges grâce au paratonnerre. Avec la COVID, c’est le vaccin qui permet d’atténuer la peur. C’est vrai que pour certains, cependant, pour y arriver, la raison doit venir à la rescousse. La peur étant une émotion au potentiel puissant.
Après la guerre, un journaliste demanda à Staline :« Préférez-vous que votre peuple soit fidèle par conviction ou par crainte ? Par crainte. Les convictions changent mais la crainte reste. » Delumeau rappelle par ailleurs qu’un dirigeant qui a trop de pouvoir a peur. Peur de le perdre, il voit des hérétiques partout. Il est amené à faire peur à son tour. C’est pourquoi il ne doit pas être seul au sommet mais doit faire face à une opposition, un contre-pouvoir, une critique.
Comme l’a dit Jean-Paul Sartre, la peur est une chose normale. Celui qui n’a pas peur n’est pas normal.
Ajout: nous sommes quelques uns à discuter de la peur avec l’animatrice Myriam Fehmiu. À Ici Première.
https://ici.radio-canada.ca/ohdio/premiere/emissions/8033/carte-blanche