Un restaurateur montréalais compte ouvrir son restaurant le 30 janvier prochain malgré l’interdiction. Une pâtissière du Saguenay rouvre sa salle à manger. Ces initiatives posent la question cruciale de l’obéissance, de notre obéissance aux règles et aux lois édictées. Pourquoi obéit-on ? Le premier ministre Legault soutient que la population agit par solidarité, la ministre Guilbault parce que nous sommes dociles.
Obéir, c’est être conforme, c’est se conformer socialement. C’est se vautrer dans un confort rassembleur. Il n’est pas naturel ni confortable de s’exclure du groupe. Le philosophe français Frédéric Gros affirme que nous « surobéissons ». Cette expression rappelle les mots de La Boétie au 16e siècle dans son discours de la servitude volontaire : « Vous vous affaiblissez, afin qu’il soit plus fort, plus dur et qu’il vous tienne la bride plus courte : et de tant d’indignités, que les bêtes elles-mêmes ne sentiraient point ou n’endureraient pas, vous pourriez vous en délivrer, sans même tenter de le faire, mais seulement en essayant de le vouloir. Soyez donc résolus à ne plus servir et vous serez libres. Je ne veux pas que vous le heurtiez, ni que vous l’ébranliez, mais seulement ne le soutenez plus, et vous le verrez, comme un grand colosse dont on dérobe la base, tomber de son propre poids et se briser.» Le jeune auteur parle ici du véritable tyran qui maintient des millions d’individus et des villes entières sous son joug. Mais n’empêche que dans cet appel à ne plus le soutenir, il y a un appel à la désobéissance.
Cette « surobéissance » agit comme un ciment qui maintient la cohésion sociale et politique. Obéir que minimalement serait déjà une forme de désobéissance. La Boétie nous rappelle que nous nous soumettons volontairement. Les restaurateurs évoqués , eux, semblent vouloir se sortir de cette soumission en disant non, en disant c’est assez. Agir ainsi exige de penser, de réfléchir, de vivre avec un doute, avec peut-être une dissonance cognitive. Se soumettre, contrairement à tout cela, nous maintient dans une analgésie, ce confort qui vient avec le « je ne veux pas savoir ». Voilà pourquoi on peut affirmer que réfléchir est dangereux.
Nous avons entendu le premier ministre soutenir que nous devons respecter un contrat social. Cette idée de contrat n’est pas nouvelle. Hobbes et Rousseau la traitait déjà aux 17e et 18e siècles. Rousseau écrit ceci : « …ce que l’homme perd par le contrat social, c’est sa liberté naturelle et un droit illimité à tout ce qui le tente et qu’il peut atteindre ; ce qu’il gagne, c’est la liberté civile et la propriété de tout ce qu’il possède. Pour ne pas se tromper dans ces compensations, il faut bien distinguer la liberté naturelle, qui n’a pour bornes que les forces de l’individu, de la liberté civile, qui est limitée par la volonté générale ». Pour maintenir une cohésion, se soumettre à la volonté générale est nécessaire. On cède une portion de notre liberté en échange de sécurité, d’une organisation du chaos potentiel.
Dans un tel contexte, la désobéissance a-t-elle sa place ? Peut-on considérer que l’État va trop loin ? Peut-elle être une manière, comme le propose Frédéric Gros, de revivifier notre démocratie si l’on juge que cet État outrepasse ses obligations, les principes qui devraient le guider ? Le contrat social ne doit pas se transformer en idéologie, en dogme fortifié niant toute discussion. Peut-on en venir à proclamer que nous ne souhaitons pas être gouvernés de telle ou telle façon ? La pandémie est venue solidifier cette espèce de ligne Maginot morale que nul ne peut franchir sans risquer les tirs nourris. Nous avons souscrit sans broncher au discours sanitaire et médical. Faut-il trop de courage pour aller, même un tant soit peu, à son encontre ? Exprimer un regard critique ne veut en rien dire que nous sommes anti-mesures, anti-vaccins et tutti quanti. Et encore moins qu’on prône la désobéissance civile.
Sur la liberté, Rousseau dira : « Je n’ai jamais cru que la liberté de l’homme consistât à faire ce qu’il veut, mais bien à ne jamais faire ce qu’il ne veut pas ». Cette affirmation grave va évidemment au-delà de ces restaurateurs qui ouvrent leur établissement.
Rouler pendant un couvre-feu, se permettre une réunion familiale, même furtive, c’est désobéir. L’appui aux mesures semble s’effriter. Allons-nous assister à la multiplication de ces « petites désobéissances » ? Sommes-nous tous constamment vertueux ? Ou voulons-nous le faire croire ?